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Encyclopédie des Problèmes Mondiaux et du Potentiel : informer et s'informer

Author:
Christian de Laet
Year:
1991

Christian de Laet, Ph.D., FRSA (Lon)
Président, Fondation de recherches transnationales-Knowlton

Extrait de Des outils pour un développement durable: playdoyer pour une reconfiguration (thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue du grade de Philosophiae Doctor en Aménagement, Université de Montréal). Le chapitre 5 porte sur l' Encyclopedia of World Problems and Human Potential

Il s'agit ici de parler d'un élément important de l'oeuvre d'un institut privé de recherches dont l'auteur est membre et auquel il est particulièrement dévoué alors qu'il siège à son comité de direction. L'Union des associations internationales, à Bruxelles, a pour mission principale d'informer et de s'informer. Cet énoncé lapidaire cache un processus extrêmement important et complexe visant à déclencher, par le biais du fait associatif, un éveil au changement et, on l'espère, une transformation du décisionnel parmi les associations internationales qui y participent.

1. Un contexte

Dans l'ensemble, et pour servir de cadre à cette communication, nous posons d'emblée que les processus de développement des sociétés, et même des entreprises, ne suivent pas un cheminement uniforme linéaire. Toutes, pour quelque raison que ce soit, de leur propre fait ou non, sont aux prises avec des fluctuations, des hauts et des bas à l'image d'une alternance. Leurs dirigeants insisteront sur leurs bonnes intentions d'un progrès continu. Ils s'exonéreront des imperfections, des interruptions et autres discontinuités en invoquant des incidents de parcours fâcheux, tout à fait indépendants de leur volonté. Ce désir d'individualiser leurs points de vue, et ainsi de vanter leur performance méritoire, est signe que l'entreprise n'est pas solidaire du contexte dans lequel elle évolue dans la société. C'est l'équivalent, dans le secteur privé, du dicton des princes: «L'État, c'est moi». A la limite, de telles attitudes affaiblissent la solidarité d'une «équipe» nationale et pousse à une fragmentation qui permet à des prédateurs extérieurs de faire une «offre d'achat irrésistible». Tant s'en va le fait associatif et fait le jeu de conglomérats transnationaux, souvent sans foi ni loi, sinon même sans feu ni lieu.

Par contre, nous avons l'évidence de crises permanentes et croissantes dont presque tous les pays du monde, où l'on ne cherche plus la cause humaine des fléaux dans nos crises de valeurs. On est content de les imputer à d'autres, ailleurs: à la Nature ou à une nature humaine incompréhensive de l'interprétation étroite de ce que constitue le développement, donnée par certains. Au seuil d'un nouveau siècle, et surtout au seuil d'un état de conscience qui s'éveille à la vacuité de politiques de développement qui laisse hors-jeu la plupart de l'humanité, les notions de solidarité et les besoins d'une pensée associative prennent une dimension irréfutable.

Ainsi, le discours politique n'est plus convaincant; il semble inconscient de la réalité que nos sens individuels ne peuvent plus ignorer. Tous les dirigeants de nos sociétés politiques et civiles sont en cause. La complexité les dépasse, leur appareil professionnel et leur expérience sont inadéquats, même si, dans un sens, le mécanistique ou le répétitif (langues de bois et semelles de plomb) peuvent maintenir une certaine permanence de l'appareil de l'État et de la société, grâce aussi à un certain rituel, comme en prêtrise ou en agriculture.

Dans un monde vivant dont la nature organique ne peut donc pas nous échapper, pas plus que la marche inéluctable du temps, il est impossible de se confier à une hyper-culture technique et mécanistique pour effectuer le virage nécessaire à une quelconque marche arrière pour effacer nos erreurs. Si même notre connaissance actuelle des choses et nos processus décisionnels permettaient d'envisager un nouvel embranchement et de reprendre une progression vers un développement durable, plutôt qu'un mal-développement, nous ne pourrions qu'appliquer cette sagesse à l'avenir. Toute autre attitude serait faite d'hypothèses chimériques. Cela étant, le passage impitoyable du temps a fait que, au seuil du prochain siècle, les abus de la nature, et de la nature humaine ont créé des usures, des pertes de charge, des fuites, des mésemplois d'énergie et de forces vives qui se sont accumulées en des dettes de toutes sortes, presque catastrophiques. Il n'y a que l'humain qui puisse sauver l'humanité. Humains connaissants et solidaires qui doivent s'atteler à la tâche gigantesque de maintenir notre attache précaire à la planète. Là encore, nous faisons face à un travail herculéen visant à aplanir les disparités d'accès au développement de la grande majorité de l'humanité.

Quel parti politique au pouvoir pourrait encore se permettre de mettre à bas les projets du gouvernement précédent en vertu d'une faible majorité. Les changements de cap et les coups de barre deviennent impossiblement coûteux à la société, et pour quel profit. Ou devrait-on dire, pour le profit de qui: «Cui prodest» reste une question valable.

Alors que les pays dits développés, en tous cas industriellement, ont déjà perdu plus d'un tiers de leur standard de vie depuis la crise de l'énergie au début des années 70, le prochain tiers est encore à perdre si nous devons régler des dettes pressantes vis-à-vis de la nature et des moins nantis. Ce tiers-là devra se perdre rapidement si nous voulons avoir «les mains libres» pour faire un saut de rattrapage. A l'heure actuelle, nombre de tabous et de totems surannés nous en empêche. Comment se débarasser d'égoïsmes forcenés, de cupidité galopante, sans engendrer d'autres excès de despotes dits éclairés? Seule une rationalité accrue de l'opinion publique et le refus des communautés à se fourvoyer dans des culs-de-sac aveugles de vaches sacrées et de chasses gardées peuvent aider à faire table rase de la cancérisation actuelle. Il y a des tissus qui devront être excisés, et leur cicatrisation vers un corps assaini devra être accompagnée d'un régime économique à portions congrues.

Ces images ne se veulent pas inutilement ou gratuitement dantesques. Pour 80% de l'humanité, il s'agira d'un renouveau de leurs cultures et de leurs connaissances traditionnelles. Pour les 20% de l'humanité qui même nantis sont victimes de disparités odieuses, il s'agira de forcer la réorientation des mésemplois de nos connaissances techniques. La nouvelle écologie de la connaissance espérée sera nécessairement moins portée au gigantisme technique, à la boulimie corporative ou institutionnele et au cortège induit du toujours plus... de l'égo, de l'argent et autres possessions éphémères ou vides de sens.

Certains travaux récents dont il sera fait état plus loin permettent d'élever la perspective à un niveau d'où un survol de la problématique permet de réfléchir sur les leçons à tirer du bilan de mal-développement généralisé. Il nous faut proposer de nouveaux indices et étalons plus convaincants quant à la gravité de la situation. Il nous faut tout autant mettre en place des projets plus performants pour l'ensemble de nos sociétés avec des critères rigoureux de succès. A l'heure actuelle, l'efficacité générale de l'humanité est très basse notamment en raison de gaspillages chez les uns et d'immaturité technique chez les autres. Cela entraîne respectivement une lassitude vis à vis de l'avenir sinon une victimite sombre et souvent incontournable. Pour sortir de ces dialogues de sourds, plusieurs avenues se dessinent. Elles sont rendues plus claires en désagrégeant la problématique globale de la société humaine en sous-systèmes de problèmes plus tractables. Ceci permet de les voir mieux en relation l'un avec l'autre. Par exemple, les sous-systèmes Survie, Subsistance, Sécurité, Surplus, Satisfaction. Grâce aux technologies modernes de l'information et de la communication, on peut différencier, selon les cultures et les aspirations, les priorités préférées de chacun et, peut-être, une bourse de valeurs où les préférences sont négotiables. Pour illustrer rapidement et très sommairement cette perspective, on pourrait présenter le développement selon une imbrication successive de faisceaux de courbes en 'S', chaque courbe représentant un facteur sous étude et chaque zone de raccord entre deux de ces grappes faisant une sorte de plateau. Dans cette optique, les sociétés se développent principalement par alternances.

2. Percevoir les objectifs

Ce modèle peut décrire sommairement l'image qu'on se fait de la raison d'être et des programmes de l'Union. Il s'agit d'une structure para-institutionnelle «exogène», soit construite hors du discours formel du «développement». Toutefois, elle en inspire et en guide certains processus informationnels-clés ainsi que les nappes de leur mouvance dans le temps et cela depuis plus de 80 ans.

L'Union fait office de pont entre des associations internationales, géographiquement et vocationnellement dispersées à travers le monde. Elle suscite également la mise en place de tels ponts là où il semble en manquer, et leur revitalisation là où ils paraissent imparfaits.

3. Informer et s'informer

Il s'agit donc d'informer et de s'informer, processus chevauchants de multiples interactions croisées et réciproques, en mouvance constante entre une extériorité qui explore les problématiques mondiales et une intériorité qui réfléchit comment présenter des significations, des perceptions, des impressions à des publics très divers. La pensée du développement est ici portée par des innovations qui, conceptuellement parlant, font écho à de récents travaux en thermodynamique dans des systèmes ouverts. Entre parenthèses, on pourrait se repencher sur les travaux de Carnot (1824) sur l'unidirectionnalité de la chaleur et de Clausius (1873) en thermodynamique pour l'explication de certains processus économiques contemporains. Des énergies vives se dissipent au point de n'être plus que de la chaleur diffuse et inutilisable, le taux de cette dissipation étant la mesure de l'entropie du système en question. Ici prise au sens métaphorique, on se rappelle néanmoins les travaux de Shannon en théorie de l'information, le premier qui semble avoir décrit le phénomène (1946). Nicolas Georgescu-Roegen tourna une page importante avec son livre sur La Loi de l'entropie et les processus économiques (The Entropy Law and the Economic Process, Harvard University Press, Cambridge, MA, 1971), permettant de définir analogiquement la notion de déchéance attachée au déclin dans certains cycles économiques.

Ici le couple énergie/entropie se trouve dans l'analogue informatique signal/bruit: métaphore pour nombre de travaux dont le contenu signifiant réel n'est qu'une fraction de l'ensemble. On peut étendre le propos dans un contexte organique en associant alors le couple énergie/information avec le couple photon/photosynthèse ou leurs analogues concernant le sang ou l'eau dans les cheminements respectifs que ces éléments font dans les systèmes naturels.

4. Historique rapide

L'UAI est née au début de ce siècle pour répondre aux exigences croissantes de ce qu'on pouvait appeler alors le défi du phénomène associatif. Les structures relativement figées des États-nations européens avaient eu du mal à se concilier les avertissements des mouvements révolutionnaires du milieu du XIXe siècle aussi bien d'ailleurs que l'émancipation relative des masses suite à la guerre franco-allemande de 1870. Il semblait nécessaire, notamment en raison de l'éveil en Russie tsariste et suite à ses aventures militaires désastreuses contre le Japon en 1905, de repenser le cadre à donner à des processus consultatifs.

Dans quelle mesure les «super-États» parmi les nations pouvaient-ils repenser des systèmes d'autorité où les acteurs de leurs sociétés, progressivement plus instruits, pouvaient concilier entre eux leurs activités sans nécessairement avoir recours à l'autorité centrale ou déboucher sur des conflits? La notion de progrès à l'aube du siècle était cristallisée autour de thèses darwiniennes. C'était un moment approprié de les placer dans un contexte plus équilibré où la notion de lutte pour l'existence pouvait rejoindre une notion kropotkinienne d'entraide (le prince Pyotr Kropotkine, géographe exilé en Sibérie, défendait une thèse de contrepartie dans L'Entraide, facteur d'évolution, Paris, 1913, réimprimé fréquemment depuis par Dover Publications.

Quoi qu'il en soit, un Office central des institutions internationales fut fondé en juin 1907 à Bruxelles, devenant en 1910 une fédération sous son nom actuel lors du Premier Congrès mondial des organisations internationales. Il convient de noter que deux Belges oeuvrant dans le contexte de la paix en association avec l'UAI, furent des lauréats du prix Nobel: Auguste Beernaert en 1909 et Henri Lafontaine en 1913. Le travail de ce dernier contribua à la création de la Société des Nations le 10 janvier 1920, et de l'Institut international de coopération intellectuelle, le prédécesseur de l'UNESCO, le 9 août 1925. Pendant la décennie 1920-1930, l'UAI poursuivit sa lancée innovatrice en créant l'Université internationale, la première de son genre et, par la modification de ses statuts en 1951, acquit le caractère d'un institut au service du réseau des organisations internationales et de leurs contacts.

Voici donc un aperçu de la valeur inestimable de cette institution relativement peu connue du grand public mais qui effectivement sert toujours de creuset informationnel à l'Organisation des Nations-Unies et de pont entre ses trente et quelques agences.

Un contact fortuit avec un secrétaire-général adjoint de l'UAI dès 1969 se raffermit par un ami commun dès après la conférence de Stockholm de 1972 sur l'Environnement humain et donna lieu à de nombreuses activités avec d'autres réseaux en Europe. La Fondation internationale de l'innovation sociale à Paris en est une, qui notamment organisa en 1973 un débat en profondeur sur la notion de complexité, et la Fondation Humanité 2000 qui aida à faire naître l'Encyclopédie dont il est question plus loin.

5. Missions de l'UAI

Les buts de l'UAI en termes institutionnels propres ne sont pas notre propos direct ici, mais plutôt ceux correspondant à son rôle de pont magistral. L'image ici est celle du cerveau, en parlant de l'UAI comme le corps calleux (corpus callosum) qui ponte ses deux hémisphères. C'est un rôle critique dans la fonction corticale que d'assurer à une information opportune, pertinente et appropriée aux besoins des grands acteurs institutionnels à l'échelle planétaire.

La perspective ci-dessus est attrayante par son utilité et par sa nécessité croissante. En effet, les carences du développement auxquelles des groupes tels que la «Society for Development Alternatives» voulaient faire face, notamment en Inde, incluaient tout ce domaine institutionnel associatif que l'UAI était éminemment habilité à épauler. Cette conjonction de la pensée de l'UAI et de SDA est toujours vivace parce que la problématique d'ensemble du développement ne se réduit pas le moindrement. Les derniers vingt ans n'ont pas, en particulier, réduit les écarts entre les espoirs formulés par l'ONU pour la troisième décennie du développement, et la réalité des réalisations sur le terrain.

Les buts de l'Union dans ce sens peuvent être interprétés selon les trois axes fonctionnels suivants:

1.Faciliter (la transformation) par l'information, celle-ci provenant du réseau global d'organisations sans but lucratif, et notamment celles à caractère non-gouvernemental. 2.Faciliter les processus de la connaissance par les échanges entre des organisations - et leurs dirigeants. En effet, créer des ponts entre des publics appartenant à des sociétés et des cultures différentes contribue à dégager ou à contourner les obstacles juridiques et administratifs à des solutions effectives. 3.Faciliter la conceptualisation et la compréhension par de nouveaux outils représentant les problématiques mondiales et de nouvelles manières de traiter de la complexité et de l'incertitude.

Une des forces spécifiques de l'UAI a été d'être et de rester à la tête du progrès technique en informatisation. Ses travaux s'éxécutent, autant que ses finances le permettent, avec de l'équipement électronique de pointe et des explorations soutenues en sciences cognitives.

Ceci entraîne des innovations graphiques avec des présentations verbales contrastées où la métaphore joue, comme catalyste de changement dans la compréhension de l'information, un rôle important. La paternité formelle de cette approche revient certainement à Anthony Judge, le secrétaire-général adjoint, cité plus haut, et directeur des travaux de recherche et de communication.

6. L'Encyclopédie des problèmes mondiaux et du potentiel humain

Le premier champ de travail contemporain en profondeur fut la conceptualisation et la mise en préparation de l'Encyclopédie des problèmes mondiaux et du potentiel humain dont la première édition sortit en 1976. On doit s'émerveiller de la richesse de l'information qui a pu être rassemblée rapidement pour une documentation à l'échelle planétaire.

Grâce à un encouragement spécifique de la Fondation Humanité 2000, Judge put complémenter les ressources nécessairement limitées de la maison et jeter ce pont d'essai innovateur. Le but était de rendre plus complet, cohérent, cohésif et contextuel un genre d'information à portée internationale et jusqu'alors inédite: une sorte de catéchisme du fait associatif international. L'architecture du document était ainsi conçue que sa lecture entraînait toujours à trouver des réponses qui dépassaient l'attente normale qu'on en faisait, tout en fournissant les moyens d'étayer l'acquis.

L'ouvrage présentait effectivement des inter-relations entre treize différentes séries d'informations trouvées ou élaborées à partir de banques de données existantes mais disparates, et relativement limitées en ce début de l'ère de l'informatisation. Une source-clé de l'information présentée fut une masse de réponses à un questionnaire envoyé à plus de 20 000 organisations repérées par le biais des Annuaires de l'Union. Le libellé des questions, par contre, trouvait son origine dans la dissection de rapports annuels et autres documents que Judge avait parcouru en détail pour les «forcer» à révéler leur «substantifique moëlle». Celle-ci fournit, en conjonction avec un fonds de bibliothèque à l'avant-garde des sciences cognitives, la raison et le contenu de sections titrées comme suit:

  • Concepts de développement de la personne,
  • Valeurs et attitudes,
  • Concepts transdisciplinaires intégrateurs,
  • Disciplines et sciences de l'intellect.

Ces séries exploratoires firent l'innovation de l'ouvrage, conduisant à l'élaboration d'une série-clé: les «problèmes mondiaux». On voit par là l'effort de sortir des sentiers battus de l'information sectorielle et institutionnelle pour la placer dans une trame plus large et plus profonde qui permettrait au lecteur de bouquiner à la recherche de ses propres besoins en filiations d'idées et en sources de germes inventifs.

Au niveau de la compréhension, cet ouvrage, et les sources d'information qui l'avaient rendu possible, pouvait donc être aussi important que l'accès à de nouveaux étagements du cortex cérébral. Ici, la stimulation persistante ne peut manquer de susciter un cadre intégrateur plus propice à placer le développement en perspective de la part des instruments institutionnels de la société.

Le professeur Johan Galtung, titulaire de la chaire Olof Palme à l'Université de Stockholm, s'exprime en ces termes: «Quelle idée originale! Alors que d'autres compilent des annuaires par pays, par événements, par sommités, cette Encyclopédie met l'accent sur les problèmes et leurs solutions, … traçant toutes sortes de liens et de connexions entre les problèmes et les potentiels de solution, laissant au lecteur le soin de combler les manques... Vraiment un document qui devrait devenir un outil premier pour l'éducation».

La deuxième édition de 1986 eut une gestation de plusieurs années qui permit, la montée de l'informatique aidant, de faire un saut quantique vers la réalisation de ses objectifs, conceptuellement semblables à la première. Ici, l'Encyclopédie fut décantée de sa gangue d'information de type traditionnel et dont le but avait été de lui donner non seulement la plausibilité et la légitimité institutionnelles requises mais surtout de créer un contexte qui permette d'introduire les séries novatrices.

L'exploration de nouvelles pistes dans l'éventail des sciences cognitives fut poursuivi tant et si bien qu'en 1986 les problèmes dits mondiaux n'occupaient plus qu'un tiers de l'ouvrage. Le reste s'ouvrant sur l'univers complexe et fascinant de leurs relations croisées, avec des rubriques-clé telles que:

  • Valeurs humaines,
  • Développement de la personne,
  • Connaissance intégrative,

en plus de générateurs d'outils informatiques tels que:

  • Stratégies,
  • Techniques innovatives, et
  • Communication.

Ce dernier groupe déclenche un ensemble de dépassements de la pensée coutumière vers de nouvelles formes de présentation comme l'utilisation de la métaphore et de la symbolique. Plus encore, elle oriente la réflexion vers de nouvelles manières de voir/percevoir/concevoir des reconfigurations substantielles de jeux d'information (le terme anglais: «patterns of concepts»).

Dans la foulée de préoccupations qui avaient contribué au groupe Development Alternatives en Inde, et dans le contexte d'une urbanisation et d'une industrialisation montantes, il semblait intéressant de voir s'il n'y avait pas un partage de «moyenne et extrême raison», une sorte de «nombre d'or» qui puisse servir de jauge commune aux problématiques urbaines et rurales, d'ailleurs en grande partie interdépendantes. Présumément, l'Encyclopédie pouvait avoir recensé, dans son ratissage général d'informations, des indices permettant de retracer certaines origines communes à différentes problématiques du développement et à ses «terroirs» spécifiques dans la compréhension.

A titre d'exemple, et dans un sens général, considérons le terme communauté, qui est à la fois une entité dans l'aménagement local du développement, et une entité-image vivifiant les ponts métaphoriques qui font qu'une réflection au centre devrait pouvoir rejoindre l'action locale. Nous suivons la piste ouverte par son premier sens, noté ci-dessus où ce terme donne lieu à plus de 250 rubriques dans l'Encyclopédie; nous avons choisi la sous-rubrique «vie communautaire» (i.e. community life) et ses dérivés de l'index. Sans vouloir alourdir le texte, notons néanmoins que «Community Life» se différencie en trois courants qui débouchent sur:

  • 3 références à des problèmes surplombants,
  • 12 à des problèmes dérivés,
  • 2 à des problèmes connexes,
  • 18 à des problèmes aggravés par celui-ci,
  • 19 à des sources de telles aggravations.

Si nous explorons ce dernier groupe, nous tombons au coeur de la problématique du développement. D'autres pistes conduisent à se constituer un univers important de mots-clé qui révèlent le langage spécialisé des institutions dont le développement doit se concilier les appuis. La progression continue avec des renvois à des dimensions axiologiques et normatives jusqu'à épuisement «exponentiellement négatif» de l'intérêt de la lecture, ou encore, elle offre la possibilité de retracer ses pas et de reprendre à mi-chemin une voie de traverse qui se serait révélée.

La présentation est telle que les pages de l'ouvrage ne sont pas numérotées: la codification des rubriques et leur signalisation leur donnant des coordonnées précises qui suffisent. Il s'agit néanmoins d'une présentation déroutante pour les personnes habituées à un collimateur précis de lecture avec une table des matières paginée. Cette manière de faire ici n'est sûrement pas voulue comme vexatoire ce qui relèverait du suicide commercial. Au contraire, elle est censée aider le lecteur à se dégager de parti-pris auxquels les livres linéaires et leurs tables de matières numériques nous ont habitués.

Suivre la deuxième piste ouverte par l'association de communauté avec l'intention de viabiliser des «ponts», nous ferait pénétrer dans des jeux métaphoriques dont les entrelacs complexes n'ajouteraient à l'argument que dans le cas d'une exploration personnelle. Un certain recul est utile et même nécessaire pour situer le rôle de cette Encyclopédie dans la pensée contemporaine. Le fait est qu'il existe maintenant un ouvrage clair dans sa complexité, ferme dans sa discipline, entreprenant dans son idéation et sans ambages en relation avec des parti-pris et des préconçus possibles. L'Encyclopédie induit à une lecture exploratoire qui conduit vers des synthèses jusqu'alors à peine supputées de la problématique globale; elle établit de nouveaux seuils de réflexion pour une gestion plus saine de l'aventure humaine sur la planète.

Nous croyons que c'est la carence de ponts entre les domaines de la connaissance et plus encore avec les chantiers de l'agi - et le manque d'informations vivifiantes pour les nourrir - qui cause une carence de réflexions orientées vers l'action utile et performante, globale et locale. Au rappel d'une prédiction qui s'est avérée juste mais qui avait été considérée comme une intuition heureuse - la chose n'étant pas alors «connaissable» -, on devient facilement la butte de l'hostilité à peine déguisée d'experts ainsi découverts dans leur refus de leurs limitations. A une question de savoir quels sont les problèmes mondiaux qu'elles ont dénombré, plusieurs organisations internationales renvoyaient à leur vérité: leurs programmes «approuvés». C'est pour elles la seule vérité qu'elles connaissent, non seulement qui puisse les motiver, mais qui puisse même exister.

7. Vue du haut

La préparation de la troisième édition de l'Encyclopédie fut achevée au début 1991. Cette édition révèle encore mieux - bien que ce n'ait pas été son objectif - les raisons pour lesquelles les «pouvoirs» institutionnels, publics et privés, font face à des problèmes pour lesquels ils n'ont pas été conçus. Ce schisme dans la compréhension les distancie de plus en plus profondément de la masse de leurs administrés. L'image qui vient à l'esprit est celle de la progression initialement très faible de l'avoir-capital net d'une hypothèque à long terme. Ainsi, sans avoir encore conscience de la ligne de pente qui tend à la verticale en raison de forces exponentielles en jeu, les problèmes de début s'accentuent relativement lentement. C'est aussi le cas des pressions démographiques que nous persistons à ne pas vouloir affronter.

A des époques encore récentes, les problèmes du développement se mouvaient sur des plages relativement horizontales: dans une telle situation initiale, la progression relativement inoffensive des retombées négatives des problèmes peut être facilement contenue par les systèmes en place. Les objections qui y sont faites ne peuvent provenir que de personnes ignorantes ou mal informées, pour lesquelles des répliques appropriées sont produites par des panoplies administratives conçues à cet effet. Dans son livre L'Écoute des silences, Thierry Gaudin (Centre 2100) les appellent les «katas» institutionnels, à l'instar des arts martiaux. Plus récemment, Judge esquisse dans une communication privée des exemples pertinents d'escroquerie institutionnelle (confidence ploys).

Si les problèmes dépassent leur «vitesse de croisière» acceptable et s'accélèrent, arithmétiquement sinon géométriquement et même exponentiellement, il n'y a alors plus de rapport harmonique disponible pour les maîtriser. On a pu observer, à partir de l'UAI, des domaines de distortions possibles qui, campés hors du champ de vision de «quiconque», seraient restés intraitables au niveau de chantiers locaux: «Qui ne voit loin, ne voit rien». C'est une variation sur le Bien d'Aucun (Res Nullius) qui donne à réfléchir.

Ces préoccupations sont au coeur de l'intention de l'Encyclopédie, telle qu'interprétée dans la troisième édition où c'est la profondeur et la qualité de l'analyse des problèmes qui la distingue. Elle a ici un niveau de pénétration «réticulaire» plus profonde et complexe, comme si elle touchait un autre étage du cortex cérébral. La structure informatisante développe une habitude progressive à la «réseautique», au point où on pourrait dire que le propre cortex visuel et cérébral du lecteur se développe manifestement en synergies, connexions et nappes additionnelles.

L'Encyclopédie est ainsi un outil informatisant qui doit nécessairement rebuter, sinon effrayer certains par son dévoilement de la complexité. Cette complexité est l'attribut essentiel de processus mentaux qui répondent à la curiosité humaine d'étendre les champs et la profondeur de la connaissance. Cet artisanat intellectuel est ici couplé à la sagesse d'un mode d'emploi: «techne» s'associe à «sophon» et leur principe organisateur, la «poiesis» créative, c'est l'Encyclopédie en tant qu'instrument.

La «société» se penche rarement en public sur cette complexité, fruit de notre évolution. Même à l'université il est difficile de susciter un intérêt pratique pour ce dépassement de soi et des institutions en réponse aux problèmes globaux et à la carence de qualité de direction, de «leadership». L'outil que représente l'Encyclopédie a ainsi tendance à choquer certains au point qu'ils le trouvent inacceptable dans le cadre de leur réalité quotidienne. Les gens ne peuvent en général pas traiter de «beaucoup» de réalités à la fois, ni même d'une réalité «trop aiguë». L'ouvrage est un outil transformateur: il pousse toute personne éveillée et conscientisée à féconder son idéation, son invention, sa portée créatrice, potions sur-enivrantes pour beaucoup sinon pour la plupart.

«Le grand défi de l'heure, dit Judge, se trouve non pas dans la difficulté de mettre des solutions en place, autant que dans la manière dont nous présentons l'information nécessaire à l'action». La confiance qu'on peut avoir dans les méthodes employées par la communauté internationale n'est pas à la mesure de la réalité appréhendée des problèmes, aussi confiants que puissent paraître leurs préposés dans leurs cages à miroir. C'est une sorte d'exo-squelette dont ils ne peuvent plus s'extirper en muant. Ceci résulte en nombre de difficultés et de vices de fond et de forme:

  • La pseudo-objectivité de l'analyse des problèmes,
  • Les accomodements avec la pertinence de l'information,
  • L'évitement de questions auto-critiquantes,
  • La partialité dans la présentation de l'information,
  • L'expertise faussée en faveur du client,
  • La corruption, le harcèlement, la perversité,
  • La vue myopique et basse, l'oreille bouchée
  • L'ambiguïté, la fuite de responsabilité,
  • La rupture d'engagements, la perte de crédibilité,
  • L'effritement de l'intégrité,
  • Le dédain méprisant de suggestions autres,
  • La pauvreté dans les normes de comportement,
  • et bien d'autres.

Tous ces aspects observables sur une scène institutionnelle existent tout aussi bien dans le contexte détaillé des instances locales du développement. Si ces aspects font partie des trames psycho-culturelles de l'humain - leur fréquence et acuité permettent difficilement d'en douter - nous ne pouvons nous y attarder ici où nous voulons être prescriptif d'un meilleur monde plutôt que descriptif des anosognosies et des morbidités en place. On peut se sentir irrité dans son sens personnel des valeurs, mais ceci n'a jamais été en soi une garantie de pouvoir faire mieux.

On ne peut s'étonner que le mal semble endémique et résiste ainsi aux remèdes dont on parle. Les institutions de la société peuvent déplorer rhétoriquement ces imperfections tout en ayant tendance à ne pas s'y arrêter, précisément en raison de ce caractère endémique qui semble les exonérer; un étonnement à ce sujet n'y est pas considéré de bon ton, il détonne. Si l'irritation «populaire» s'étend et finit par se faire entendre au centre, ses caciques de service s'étonnent eux-mêmes d'avoir été mal compris, et adoptent des attitudes défensives et souvent tracassières et tâtillonnes. Un étonnement peut être feint, en tant que stratégie de retardement, ou de concurrence déloyale; il peut aussi être réel, dans le sens où on ne peut pas entendre ce qu'on ne nous a pas appris à écouter.

L'administration en défère la plupart du temps à ses maîtres politiques quand il s'agit de rencontrer les doléances du public. Même le processus des audiences publiques, phénomène récent dans certains pays, révèle que certaines conclusions sont souvent prédéterminées par les organisateurs en contrôle de l'agenda et des échéanciers de réunion.

Il est à regretter qu'au moment où les dirigeants se rendent compte qu'un changement de cap est nécessaire pour remédier à l'imperfection, la capacité d'informer ouvertement et intègrement s'est souvent détériorée au point de ne plus être plausible. Le résultat en est souvent de biaiser le rapport des forces en présence vers une sorte de mal-développement. On peut citer l'approche de «surcompensation» qu'adopte certains systèmes démocratiques - comme en Suisse - pour donner à des minorités une écoute surproportionnelle à leur nombre.

Il existe ainsi ce que Judge appelle le défi existentiel des dirigeants; il invoque notamment:

  • les réponses simplistes,
  • l'apparence du mieux par effet de miroir,
  • le refus d'agir sur la base d'information adéquate,
  • les jeux de mots désarmant la réplique effective,
  • l'abus du pouvoir d'expression,
  • l'argumentation arrogante et percutante «ad hominem»,
  • le refus de la nécessité du moindre changement,
  • le sacrifice selon le «à deux poids, deux mesures»,
  • l'attente passive d'accidents critiques,
  • l'appel au sacrifice des autres,
  • le désaveu d'un défi existentiel pour les dirigeants,
  • le refus institutionnel de changer de perspective,
  • l'égoïsme personnel persistant.

8. Survol

Deux ouvertures s'inscrivent ici dans un effort de survol de l'Encyclopédie. D'abord, l'écolage réciproque à y dégager des trames informatiques-clés et à y trouver d'autres entrecroisements propres à sa propre structuration mentale: un tel écolage est riche et presque enivrant et habituant.

Ensuite, la lecture permet de remonter aux sources de problèmes de nature publique, collective ou individuelle, et d'y trouver des inspirations quant aux stratégies compensatoires qui pourraient être utilisées pour sortir des empêtrements du mal-développement institutionnel et autre.

Si un problème particulièrement visé persiste au-delà de la réponse rapide qu'on lui donne habituellement - c'est en général le cas - on peut de moins en moins se contenter de palliatifs. L'histoire récente de renversements de gouvernements et de scandales politiques généralisés le montre. Plus encore, c'est notre propos ici, il existe des incuries qui causent des problèmes macro-environnementaux pour lesquels aucun consensus fonctionnel ne semble possible vu la distance incompréhensible qui les sépare de problèmes concrets dits urgents. Même ici des «champs de mines» impossibles à traverser nous guettent à la longue. L'Encyclopédie en note quelques-uns:

  • le maintien du statu quo,
  • la production de solutions «à la chaîne»,
  • les vérités douteuses,
  • le combat «à la romaine» dont un seul sort vainqueur,
  • les alternatives impensables,
  • les imputations de blâme,
  • la présomption d'innocence.

D'une perspective, non pas intellectuelle et logique à cette échelle «cognitive» de l'Encyclopédie, mais plutôt pratique, l'ouvrage est de grand secours. Si l'on vise une recherche-action vers des débouchés fonctionnels, les bénéfices dérivés de l'UAI sont très substantiels et pour le contenu et pour les processus de travail professionnel et personnel.

Les retombées de ces travaux inspirés de l'UAI sont nombreuses. Citons seulement un travail pour le ministère fédéral des communications, Le Défi de l'informatisation de la société canadienne pour la francophonie dans l'ouest canadien, dirigé par le pr. L.-V. Xhignesse, alors au Centre de recherches en langue française de l'Université de Regina au Saskatchewan. Là, il s'agissait de certains aspects de carence conceptuelle reflétée dans le questionnement informatique des gouvernements que des références à l'Encyclopédie ont pu combler.

Il n'en reste pas moins qu'une restructuration programmatique de stratégies gouvernementales dans le domaine de «l'informatisation» s'avère de plus en plus nécessaire dans les circonstances actuelles de l'Europe Atlantique et de l'Amérique du Nord. Le cycle de l'UNESCO sur «la Culture et le développement» pourrait-il y apporter des solutions?

9. L'Information, une problématique en soi

Dans notre conception des schèmes de structuration de la pensée informatisante, nous sommes préoccupés de ce que l'information soit vue dans une perspective d'espace-temps, une méthode qui semble faire son chemin. En géographie économique et sociale, on fait l'historique d'un certain bassin versant depuis des centaines d'années, et cela par le biais d'informations «développementales» même anciennes et non scientifiques, mises en contexte. Il en ressort une perspective de mouvance, riche en idéation et en compréhension, analogue à une mémoire de village dépassant de loin ce que la tradition orale aurait pû conserver.

Cette notion spécifique d'espaces-temps vient à l'esprit ici - plutôt que son parallèle einsteinien - et pousse à l'approfondir. Nous sommes tous mûs par ces considérations auxquelles s'ajoutent la finalité de l'espèce et aussi les circonstances fortuites qui poussent aux décisions.

Une perspective de situer les défis et les réponses d'un développement collectif et individuel durable ne peut plus se contenter d'un travail fait en isolation ou en simple réponse-réflexe à des impulsions non-cohérentes de parti-pris, d'idéologies intempestives, d'intérêts privés ou directement de «dirigeants» avides de se maintenir au pouvoir. Déplorer ce tableau ne nous équipe toutefois pas à le maîtriser. Il faut pouvoir le réagencer par des lignes directrices proactives plutôt que réactives: c'est ce que nous croyons utiles de développer par la notion de ponts.

De tels ponts doivent être soumis à la vigilance de postes d'octrois ou de barrages de gendarmerie, à la fois en information et en «transformation», ceux-ci devant répondre à la fois à la conjoncture et aussi à la conjecture. Les torsades information-transformation se tissent dans le temps et relient les discontinuités inter-générationnelles. Il ne s'agit donc pas seulement d'assurer une couverture spatiale de l'information, mais encore d'assurer que la valeur de cette information se maintienne au delà du «ici et maintenant» pour servir à d'autres horizons-temps.

On pourrait, par exemple, présenter de l'information spécifique par des graphiques qui indiquent leur valeur au cours du temps. Ainsi, la Bible, le Talmud ou le Coran correspondrait à des tracés horizontaux, l'in-formation ne perdant rien au cours des temps. D'autre part les pronostics d'hier sur la Bourse des valeurs d'aujourd'hui n'auraient plus que la valeur nulle imagée par un tracé vertical. Entre ces deux extrêmes, les tracés pourraient montrer la déchéance d'une valeur informative, à différents degrés, appelant l'attention sur le moment et la nature d'un remède ou d'une compensation à y apporter. De tels tracés seraient semblables à ceux qu'on trouve dans la programmation mathématique de contrôles d'inventaires, notamment de pièces détachées.

Si l'information en circulant cycliquement dans le temps rappelle le mouvement d'une spirale cylindrique, on peut prévoir qu'elle atteigne des étagements plus profonds du conceptuel et du sensible, à mesure que la conscience porteuse s'affine. L'image qui ressort de ceci serait une série de cinq étagements distincts et pratiques de ce que l'information permet de repérer quant «au su, au réfléchi, au senti, au perçu orienté vers l'agi». Nous rentrons ici dans un nombre de dimensions qui dépassent de plusieurs ordres de grandeur et de profondeur ce que permet une «banque de données» hiérarchique, textuelle ou relationnelle, d'habitude compartementalisée en catégories selon une taxonomie uni-dimensionnelle.

Les dimensions en question dépassent donc le purement spatial et répondent effectivement à des préoccupations espace - temps -conscience, dans une nécessaire perspective évolutrice. Notre interrogation dans ce domaine s'est vu soutenue par le contenu de la première édition de l'Encyclopédie en 1976, mais la tabulation descriptive donnée plus loin se rapporte à un travail de base qui s'est déroulé ailleurs, en parallèle au processus de préparation de la 2e édition de 1986. En effet, d'une ébauche en 1982 pour servir les besoins de départ de la Society for Development Alternatives en 1982 à Delhi, le concept s'est raffiné pour être présenté en 1985 à l'assemblée générale de MENSA, à Vancouver.

Une présentation sommaire sous forme de tabulation répond aux besoins de la discussion ici. Dans son exposition complète, ce concept d'étagements est porteur d'une perspective évolutionnaire de l'in-formation et son inscription dans des cycles de transformation continue dans le but d'atteindre «sa» propre forme finale: cela demanderait un volume en soi.

L'animation de plusieurs séminaires universitaires depuis a surtout servi l'objectif de réconcilier des perspectives diverses entre des généralistes et des spécialistes. Dans le sens d'associations sans but lucratif, l'intérêt réside dans la nécessité d'avoir des critères de performance organisationnelle, en l'absence de forces de marché. On note que très souvent, les décisions quant à la rentabilité interne de telle ou telle activité en information manquent de guides.

Étagements d'information

1. Étagement 1 
Question de base: 
Genre d'information: 
Objectif central: 
Domaine et moyens: 
Clients: 
Publics: 
Descripteur: 
Éléments orbitaux: 
 
 
 

Éléments satellites: 

Attitude: 
Action: 
Perspective-temps

Où, quand, quoi, qui 
données, faits, contexte 
renseigner 
terre à terre, les mots 
usagers externes 
les «gouvernés» 
mots-clé (Thésaurus) 
Individus, 
Organisations 
Événements, 
Documents, 
Projets 
Tactiques d'info-commerce 
Indicateurs et Marqueurs, Glossaires 
homme de troupe, l'accident 
saisir, récolter les données 
l'immédiat

 
 
 

2. Étagement 2 
Questions de base: 
Genre d'information: 
Objectif central: 
Domaine et moyens: 

Clients: 
Publics: 
Descripteur: 
Élements orbitaux: 
 
 
 

Éléments satellites: 
 
 
 
 

Action: 
Attitude: 
Perspective-temps 

Pourquoi, Comment 
structurantes, la conjoncture 
interpréter 
les besoins prosaïques 
les idées, le logos 
les collègues 
les gestionnaires 
valeurs (axiologiques) 
Objectifs 
Problèmes et Trames 
Stratégies 
Communication 
Accès aux connaissances 
Iso-référentiels 
Hypothèses non-verbalisées 
Mythes fondateurs 
Préjugés / présumés coutumiers 
Irridescences et fortuits 
Tendances 
faire 
Aider, le logique 
cycles économiques, l'événementiel

 
 
 

3. Étagement 3: 
Question de fond: 
Genre d'information: 

Objectif central: 
Domaine et moyens 
Clients: 

Publics: 
Descripteur-clé: 
Éléments orbitaux: 
 

Éléments satellites: 

Action: 
Attitude: 

Perspective-temps: 

Alternances et Altérités 
Thèmes, 
Prospective, la conjecture 
Illuminer 
poétique, le pathos 
le Moi sociétal, les amis 
les meneurs, les dirigeants 
les chefs de réseaux-amis 
analogiques, le (res)senti 
Métaphores, fables, proverbes 
Attitudes, Signifiants 
Moyens de la Connaissance 
Incubateurs 
Cénacles et gloses privés 
faire faire, le rationnel 
enseigner l'intellectuel 
systèmes-experts 
les âges de vie (7 ans?)

 
 
 

4. Étagement 4 
Question de fond: 
Genre d'information: 
Objectif central: 
Domaine et moyens: 
Clients: 
 

Publics: 
Descripteur-clé: 
Éléments orbitaux: 
Éléments satellites: 
Action: 
Attitude: 
Perspective-temps: 

ailleurs (elsewhere-ness) 
clarté ferme, 
émouvoir 
épique, «affects», l'éthos 
soi-même, sa culture 
les gouvernants 
la conscience sociétale 
organismes planétaires 
Percipience 
isophores, croyances 
illuminations 
faire faire faire, l'essentiel 
accouchage, maïeutique 
cycles de vie

 
 
 

5. Étagement 5 
Question de fond: 
Genre d'information: 
Objectif central: 
Domaine et moyens: 
Clients: 

Publics: 
Descripteur-clé: 
Éléments orbitaux: 
 
 
 

Éléments satellites: 
 

Action: 
Attitude: 
Perspective-temps 

universalité, conscience 
éidétique, l'imaginaire 
inspirer 
visions, le prophétique 
le Soi spirituel 
les adeptes 
ses réseaux personnels 
intuition 
Transcendence, Métanoïa 
Sapience, Unicité 
Essence, Ipséité 
Révélation 
Éthique 
États seconds, 
Rêves, 
Hallucinations 
se sentir porté à 
détachement, compassion, 
immatériel

Les connexions entre ces tableaux sont telles que, dans leur agencement, les étagements inférieurs n'ont pas accès au supérieur, alors que tout étagement supérieur peut automatiquement s'enrichir d'une moisson en provenance du «bas».

Toute personne impliquée à un certain niveau se fera diriger par l'étagement immédiatement supérieur à celui de ses responsabilités, et pourrait se faire guider par le deuxième étagement au-dessus. On pourrait avancer que, pour tout professionnel de l'information, l'étage inférieur (celui des données) est celui qu'on met à la disposition de ses clients, le deuxième est celui qu'on partage avec ses agents, le troisième avec ses partenaires, le quatrième avec ses amis, le cinquième avec soi-même.

Une telle ziggourat pourrait conduire à en transformer les séquences pour leur donner la forme d'un «jeu». Des exemples de ce genre sont notamment le jeu de l'Oie et le jeu des «Échelles et Serpents» (Snakes and Ladders) qui semblent avoir un ancêtre commun, le «Gyan Chaupad», jeu de dés divinatoire indien datant d'il y a plus de 2 000 ans (référencé dans Leela, Game of Knowledge par Harish Kotari, Rupa & Co., New Delhi, 1984).

L'information, toute complexe qu'elle puisse être, ne doit pas et ne peut pas rebuter. Le modèle proposé se veut tout au moins de réduire l'incertitude patente qui fait que le contexte et la connectivité de l'information semblent inopérants. Ceci résulte de ce que, dans la conjoncture contemporaine, on a tendance à traiter l'information à l'emporte-pièce.

La question d'une transformation structurelle dans la conception de l'information est vue ici comme une nécessité sine qua non dans la structuration des aménagements sociétaux vers un développement plus soutenable, plus durable. Il ne s'agit pas ici d'un procès d'intention à la société industrielle globale autant qu'une mise en garde sur l'avenir de l'aventure humaine sur Terre si les signaux avertisseurs ne sont pas entendus et leurs constats impliqués dans un processus d'action qui ne saurait tarder à s'affirmer. La conférence de Rio a déçu beaucoup d'espoirs à ce sujet. De tels signaux ne nous viennent pas seulement de sources de ce qui est su, perçu ou déjà acté, mais aussi de sources au delà des oeillères caractéristiques des points de vue institutionnels, collectifs aussi bien que privés.

La modernité scientifique et technique doit s'allier à ces «anciens» systèmes de connaissance où l'information a une tout autre configuration.

En rappel du concept formulé par le mathématicien hongrois Kurt Goedel, un système ne peut pas se définir absolument à partir de lui-même, mais nécessite un référentiel extérieur par lequel la connaissance peut s'achever. D'autres que soi peuvent contribuer à une vue plus efficace de «son» propre domaine. Si, ainsi, un référentiel extérieur est nécessaire à identifier l'entièreté de tous les tenants et aboutissants d'un système - notamment pour assurer qu'il soit efficacement inséré dans sa trame sociétale - c'est bien un des rôles critiques que l'UAI joue au profit de sa clientèle associative. L'Union les éclaire d'une manière unique sur des éléments cognitifs et expérientiels qu'ils ne peuvent pas obtenir à partir de leurs propres données. Nous nous devons de souligner, l'expérience le dicte, que l'UAI comble même les vides, les carences ou les imperfections qui existent à l'intérieur des domaines propres à sa clientèle. Ceux-ci peuvent se présenter ou se créer accidentellement lors de glissements ou de goulots conceptuels ou fonctionnels avec leurs effets-surprise. Telle surprise peut être réelle, ou malencontreuse ou feinte mais elle n'en reste pas moins typique de systèmes qui se délitent vers des ensembles prônes à exhiber un ou plusieurs des syndromes du mal-développement.

10. Un «Engin» à apprendre

Par intrapolation des leçons disponibles dans l'Encyclopédie, on constitue des jalons et des bornes aussi bien que des filières, des germes et des sériations d'idées, qui permettent de dresser une cartographie plus précise des options et des menaces quant à un développement local qui n'aurait ni racines, ni répondants. Il est plus particulièrement important d'identifier des acteurs dans des secteurs public et privé. Mais ce sont surtout ces secteurs intermédiaires qu'il faut amener à se renforcer pour atteindre un degré adéquat de responsabilisation et de mobilisation. Tous ont besoin d'un éveil et d'une vigie concertés, dans le sens de dégager des projets globaux de société.

Il est ainsi possible de vanter l'Encyclopédie comme un «engin à apprendre» dans les deux sens: d'une part, qui conduit à apprendre selon la maïeutique de Socrate et, de l'autre, dont l'utilisation doit être apprise. L'apprentissage est ici entendu dans le sens de métier comme l'entendent les Compagnons du Devoir du Tour de France.

L'Encyclopédie est un instrument par lequel on se sent porté à compulser la référence suivante, à trébucher en avant: c'est un maître sans limitations pour forcer l'esprit à éclore et à s'ouvrir à la connaissance.

Pour conclure ici, il n'est pas exagéré de dire que c'est en grande partie l'Encyclopédie, et son architecte, qui justifie un certain optimisme dans l'espoir que les conseillers des princes puissent «apprendre» et éventuellement communiquer cette Connaissance à leurs maîtres. Les sociétés politiques sont aussi sujettes à changement de l'intérieur. L'aménagement le plus probant, et à la limite le plus nécessaire, est encore celui des cerveaux et des consciences, par des instruments visant un effet transformateur dans le non-matériel, l'imaginaire, l'attitude. C'est dans l'humain que converge la modernité et le traditionnel, tous deux porteurs d'attributs enrichissants, à la bonne dose.

On souhaite la meilleure gestation possible à la quatrième édition.